mardi 22 octobre 2019

Le Tarot du Héros et les Blues Brothers


La Maison-Dieu selon Jamie Hewlett (jamiehewlett.com) / The Blues Brothers (1998)

Bienvenue dans ce deuxième article consacré à l'analyse de films à travers des tirages de Tarots de Marseille. Un tirage est une manière de disposer les cartes afin de répondre à une question posée. Pendant un tirage, c'est la personne qui pose la question qui tire les cartes à l'aveugle, le lecteur interprète ensuite les cartes.

Dans le cadre de ces analyses, les cartes ne sont pas tirées à l'aveugle, elles sont choisies après une première analyse rapide. L'analyse plus poussée du tirage ainsi constitué permet d'approfondir l'analyse du film. Les tirages sont adaptés aux spécificités du travail scénaristique.

Le tarot du héros est un tirage décrit dans La Voie du Tarot (livre de Alejandro Jodorowsky et Marianne Costa). Alejandro Jodorowsky s’inspire ici de la quête du héros théorisée par Joseph Campbell dans Le Héros aux Mille et un Visages.

Le tarot du héros se prête particulièrement à l’étude de films, il présente les ingrédients nécessaires à tout bon scénario : un héros, un objectif, des obstacles.

Pour ce tirage, j’ai décidé de m’intéresser à The Blues Brothers (1980, réalisé par John Landis, écrit par Dan Aykroyd et John Landis).

ATTENTION DIVULGACHAGE: L'analyse dévoile certains moments clés du film.




Le héros est le mat, un vagabond sur les routes. Toute sa fortune se réduit à un maigre baluchon, les clochettes sur son costume suggèrent qu’il gagne sa vie en faisant des spectacles, c’est un saltimbanque.



Une des principales caractéristiques du mat est sa liberté. Au début du film, Jake, le personnage principal, est en prison, privé de sa liberté. On remarque des chiens statufiés dans les plans d’exposition de la prison. Derrière les barreaux, les énergies instinctives et animales sont neutralisées, figées dans la pierre, à la différence du chien bleu du mat qui représente son instinct et le pousse à avancer.



La première séquence du film est une libération, celle de Jake. Il rejoint son frère Elwood et le duo prend rapidement la place de personnage principal. C’est une des étapes de la transformation de Jake, qui l’amène au final à devenir le soleil (XVIIII), l'objectif du héros dans le tirage.

Le mat possède une énergie folle, énergie qu’on retrouve dans tout le film. Folle car elle est inépuisable, mais également incontrôlable. Une des problématiques du mat est de canaliser son énergie débordante, il a besoin d’un objectif sinon il pourrait bien faire éternellement des ronds autour de son bâton rouge planté dans le sol.


L’objectif est le soleil (XVIIII).

Les deux frères ont un message important à diffuser : ‘Everybody needs somebody’
Jake acquiert au fur et à mesure du film les attributs du soleil, il partage son objectif de rayonner sur le monde, de transmettre un message divin et positif : la fraternité.



Jake retrouve son frère Elwood et l’entraîne dans sa mission divine, comme le personnage à gauche de la carte guide son frère aveugle sur l’île blanche. Dans la scène de l’église, Jake est frappé par un rayon de soleil divin, il a une révélation : lui et Elwood doivent reformer le groupe. Comme le frère aveugle à la droite sur la carte, Elwood n’a pas vu Dieu mais se laisse guider par son frère.

Le soleil inspire Jake et lui donne sa mission : ‘We are on a mission from God’.
La fraternité est primordiale pour Jake, et se retrouve dans son obsession de reformer le groupe de musique. La première chose qu’il dit après avoir été frappé par Dieu est : ‘The band !’. Jake veut retrouver ses frères d’armes.

On retrouve encore la fraternité dans l’objectif final des frères Blues : sauver l’orphelinat qui les a vus grandir, et tous les enfants qui y vivent. C’est une mission désintéressée, qui fait des frères Blues de vrais héros au sens le plus chevaleresque du terme. Enfin la fraternité est clairement exprimé dans le titre phare du film : ‘Everybody Needs Somebody to Love’, et le refrain qui implique tout le monde : ‘I need you, you, you !’

On retrouve plusieurs fois dans le film la construction en triangle de la carte du soleil, notamment dans cette scène où Martin Luther King (apôtre de la fraternité s’il en est) occupe la place du soleil.




Un bon héros se doit d’avoir des obstacles à franchir et des ennemis. Ils sont nombreux dans The Blues Brothers, mais sont tous des variations sur le même thème : celui de l’ordre, représenté par la justice (VIII).



Les frères Blues ne cessent de transgresser la loi et sont régulièrement pourchassés par la police. Le chiffre 4 évoque la stabilité (à l’image d’une table, d’une chaise, ou encore d’une voiture sur 4 roues), le chiffre 8 de la justice redouble cette stabilité, et en devient rigide. La carte de la justice évoque les institutions, le gouvernement, le système.

La justice se retrouve également dans le personnage d’Aretha Franklin, alors qu’elle essaie d’empêcher Matt ‘Guitar’ Murphy de la quitter quand les Blues Brothers viennent le chercher pour qu’il rejoigne le groupe. Pour elle, un mari ne devrait pas quitter la stabilité du foyer. La chanson ‘Think’ et son refrain ‘Freedom !’ est cependant à double sens, elle l’invite à se libérer. Mais se libérer de quoi ? De sa vie rangée et monotone, ou de ses envies pulsionnelles d’aventure ? En tout cas Matt doit ‘réfléchir’, peser le pour et le contre, comme le fait la justice avec sa balance. Elle-même finit par trancher avec son cœur - la justice porte la balance avec la main gauche - et à le laisser partir.

La justice tient dans sa main droite une épée, une arme pour appliquer sa sentence. Dans le film, cette main armée est celle de la femme mystérieuse qui tente à plusieurs reprises de tuer Jake à coup de bazooka ou de fusil mitrailleur. On apprend lors d’une ultime confrontation que la faute de Jake est de l’avoir abandonnée sur l’autel. Jake a bafoué l’institution du mariage et son engagement. Un comportement attendu de la part du mat qui ne reconnaît aucune attache, mais un crime et une trahison aux yeux de la justice.

La justice est encore le système fiscal qui menace l’orphelinat. Comme souvent, le fisc est présenté comme une institution à la fois solide et absurde. À la fin du film, le percepteur accepte le chèque des frères Blues sans rechigner, alors qu’ils sont poursuivis par des centaines de policier et de militaires.

On remarque d’ailleurs que la justice est symboliquement défaite quand ceux qui ont pour mission de la protéger deviennent à leur tour des agents du chaos dans la course-poursuite finale.



Mais la toute première rencontre des frères Blues avec la justice a lieu juste après la sortie de prison de Jake, dans l’orphelinat. Elle s’incarne dans le ‘Pingouin’, une nonne sévère et austère. Le Pingouin est juste, elle refuse de payer ses dettes avec l’argent du vol (comme on l’a vu, les impôts ne posent pas autant de questions) et pousse Jake et Elwood dans le bon chemin. Le Pingouin est une vision positive de la justice, qui apparaît au début de la scène comme un antagoniste mais se révèle au final un bon aiguillon et qui donne au mat ce qui lui manque : un but, un objectif.


Le second obstacle qui se dresse sur la route des Blues Brothers est le diable (XV).



Dans le tarot, le diable est notamment lié à toutes les problématiques d’argent.

Les Blues Brothers doivent de l’argent à tout le monde, ce qui crée immanquablement des situations de conflit quand ils demandent de l’aide. Pour eux l’argent n’est qu’un moyen, un outil. Cet absence de révérence pour le Dieu dollar détonne et fait d’eux des parias, par exemple quand ils ne peuvent pas payer les consommations dans le bar de country où ils viennent de jouer, ou quand ils se goinfrent sans aucun respect des convenances dans un restaurant hors de prix pour forcer M. Fabulous à quitter son emploi et à reprendre sa place dans le groupe.

Malgré leur mépris pour l’argent, les Blues Brothers doivent faire appel à un promoteur de leur spectacle, et se plier à ses exigences pour organiser le concert. S’ils ne se laissent pas gouverner par l’argent, les Blues Brothers savent que l’argent fait tourner le monde. Ils n’essaient pas de le détruire, mais ils l’utilisent pour arriver à leurs fins : sauver l’orphelinat, donner de l’amour au monde.

Le sens premier du diable est de mettre à jour nos pulsions profondes, celles qui devraient rester dans l’ombre. C’est même le sens littéral de Lucifer : ‘qui porte la lumière’. L’arcane est associé à nos désirs inavoués, aux addictions, aux sentiments négatifs.



Le diable s’incarne chez les néonazis que les Blues Brothers défient au milieu du film. Dans le cinéma américain, les nazis sont souvent utilisés comme représentation sans équivoque du mal à l’état pur. Les néonazis sont en vénération aveugle devant leur idole Adolf Hitler, ils sont enchaînés à leur haine. Ils représentent aussi une certaine idée de l’ordre, on retrouve ici le versant négatif de la justice.


On peut remarquer que les cartes du soleil (l’objectif) et du diable se ressemblent. Chez le diable, les deux personnages regardent le diable, tandis que dans le soleil ils se regardent entre eux. Le diable exige l’admiration et la vénération, le soleil baigne le monde de sa lumière sans rien demander en retour. Chez le diable les personnages ont les mains liées dans le dos, chacun de son côté ; chez le soleil les personnages se touchent, ils sont en lien les uns avec les autres.

Pour des personnages d’artistes qui montent sur scène dans des concerts grandioses, on pourrait s’attendre à ce qu’ils aient un faible pour l’amour des foules. Mais il n’en est rien, certainement parce que le groupe des Blues Brothers a déjà existé dans le passé, et que ses membres ont déjà vécu et dépassé ce rapport addictif à la foule.

On sent tout de même poindre le diable lors de la scène du bar country, quand Jake a une réaction d’orgueil et refuse de jouer de la musique country, de se plier au style de la salle. Mais alors on leur coupe le son (et la lumière). Ils changent rapidement leur fusil d’épaule et s’adaptent pour remplir la mission du soleil : donner du bonheur autour d’eux et répandre l’amour sur le monde.

Les Blues Brothers touchent le cœur de leur public et révèlent l’amour.


La justice est un obstacle externe qui s’incarne chez plusieurs antagonistes différents (policiers, militaires, promoteurs, d’une certaine manière les nazis, etc.), tandis que le diable est un obstacle plutôt interne, qui renvoie à l’orgueil d’artiste de Jake (même s’il s’incarne chez les nazis). C’est pour cela que la carte du diable est plus proche du héros (obstacle 1 : obstacle interne) et la carte de la justice plus proche de l’objectif (obstacle 2 : obstacle externe).


La clé, ou le moyen par lequel le personnage va se débarrasser des obstacles pour atteindre son objectif, est la maison-dieu (XVI).



La maison-dieu représente la fête avec ses cotillons, le panache de couleur qui émerge de la tour, et ses personnages qui marchent sur les mains. Elle représente également une violente explosion qui détruit la tour, et le personnage de gauche sur la carte pourrait bien être en train de chuter.

Dans The Blues Brothers, les conflits se terminent soit en chants et en danses, soit en explosions et destructions. La maison-dieu représente une énergie qu’on ne peut plus contenir et qui émerge. La tour couleur chair représente notre enveloppe corporelle, mais peut également être un système de valeurs qui nous a permis de nous construire, mais qui s’avère contraignant (la famille ou la société). Dans The Blues Brothers, le panache coloré représente l’énergie débordante du mat que la justice (la tour) ne parvient pas à contenir.

Lors de la course-poursuite finale entre les néonazis et les Blues Brothers, la voiture des nazis saute un tremplin, se met à voler au-dessus des tours et chute inexorablement. Juste avant de percuter le sol, le Gruppenführer avoue ‘I’ve always loved you’ à son chef. C’est une bonne illustration du pouvoir libérateur de la maison-dieu : la chute amène la vérité. Et dans ce cas-là le soleil est l’objectif, c’est donc l’amour qui est libéré.



Le tarot du héros permet de révéler les forces en présence dans un film, et d'identifier ce qui se dresse entre le héros et son objectif. Dans le cas présent l'objectif (le soleil) représente ce que doit devenir le héros, plus que ce qu'il doit obtenir. Cela tient peut-être à la nature spécifique du soleil, qui incarne le don et la partage.

Le tarot du héros peut être affiné, par exemple en tirant plus d’une carte pour les clés. On trouverait le chariot (VII), la puissante ‘Bluesmobile’ qui met au service de la mission sa capacité à parcourir le monde et à se jouer de tous les obstacles. La Bluesmobile est une voiture de police reconditionnée, une manière pour les Blues Brothers de narguer la justice en s’emparant de ses armoiries.



Merci à Idir Zebboudj pour la relecture.

mercredi 18 septembre 2019

Le tarot du monde et Batman


Gotham City (ouverture de Batman, 1989) / Tarot Corrumpe (Marcel Ruijters)

















Dans cet article et les suivants, nous allons analyser des films à travers des tirages de Tarots de Marseille. Un tirage est une manière de disposer les cartes afin de répondre à une question posée. Pendant un tirage, c'est la personne qui pose la question qui tire les cartes à l'aveugle, le lecteur interprète ensuite les cartes.
Pour ces articles, les cartes ne sont pas tirés à l'aveugle, elles sont choisies après une première analyse rapide. L'analyse plus poussée du tirage ainsi constitué permet d'approfondir l'analyse du film. Les tirages sont adaptés aux spécificités du travail scénaristique.

Nous allons analyser le personnage de Batman / Bruce Wayne,  dans Batman (1989, réalisé par Tim Burton et écrit par Sam Hamm et Warren Skaaren), grâce au tarot du monde.
Le tarot du monde est un tirage décrit dans La Voie du Tarot (livre de Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa). Il permet d'explorer les différentes facettes d'un personnage de fiction, révèle les conflits internes et donne une image complexe du personnage.

ATTENTION DIVULGACHAGE: L'analyse dévoile certains moments clés du film.

Disposition des cartes / Le tarot du monde de Batman

L'essence de Bruce Wayne / Batman au centre du tirage renvoie à son trauma originel qui est un moyen régulièrement utilisée pour caractériser un personnage. Les quatre pôles du personnage (sexuel et créatif, intellectuel, émotionnel et matériel) se reflètent dans quatre personnages secondaires (respectivement le Joker; James Gordon, commissaire de la police de Gotham City; la journaliste Vicky Vale, love affair de Bruce Wayne et Alfred, le majordome).


Au centre, la carte représentant l’essence du personnage est l’arcane sans nom (XIII). Elle évoque la mort des parents de Bruce Wayne, le trauma à l'origine de Batman.

On retrouve la symbolique de l’arcane sans nom dans le flash-back de la mort des parents.



Les parents du petit Bruce Wayne sont abattus sous ses yeux par un voyou dans une ruelle sombre. L’ombre en forme de croissant de lune sur le visage de l’enfant rappelle celui du personnage de la carte. La lune est déjà présente, la forme en creux en fait un symbole de réception. Le visage est éclairé, les yeux écarquillés : Bruce Wayne n'a aucun moyen d'échapper au drame qui le frappe.

Dans le film, la mort des parents s'accompagnent de la chute des perles et des pop-corns. C'est une manière de redoubler la chute, on peut également y voir une métaphore du sang qui se répand sur le béton. On retrouve dans l'arcane sans nom le sol jonché d'objets, encombré, synonyme du chaos dans lequel se trouve le personnage. Le créature à la faux doit enjamber tous ces objets si elle veut progresser.

Dans le sol noir représentant le magma de l’inconscient, résident les deux têtes couronnées, un roi et une reine. Ce sont les parents de l’enfant Bruce, ils sont toujours présents à son esprit, et sont le moteur du personnage.  Par ailleurs dans le tirage, l'arcane sans nom est résolument tournée vers la droite où se trouvent la lune et l'hermite, deux archétypes parentaux. A travers Batman, Bruce Wayne essaie inconsciemment d'empêcher ses parents de mourir.


Les cartes à droite (côté actif : l'hermite pour le pôle intellectuel et la lune pour le pôle créatif) s'incarnent dans le personnage de Batman, tandis que celles à gauche (côté réceptif: le pendu pour le pôle émotionnel et l'empereur pour le pôle matériel) s'incarnent dans Bruce Wayne.

Le pôle sexuel et créatif de Batman s'incarne dans la lune (XVIII). C'est le pôle qui s'exprime le plus dans le film, signifiant un déséquilibre chez le personnage.


Le déséquilibre chez Batman est renforcé par celui de son antagoniste, le Joker, également dominé par ses énergies sexuelles et créatives. Le Joker est le personnage secondaire reflet du pôle sexuel et créatif de Batman.
Dans le tarot, la lune est souvent associée à la folie et aux mondes imaginaires. On trouve ici l'enjeu du film, c'est la ville de Gotham que les deux adversaires veulent façonner à leur image. Quel est l'imaginaire qui va l'emporter et se répandre sur la ville, celui de Batman ou du Joker?

A l'approche du duel final, le Joker promet de déverser 20 millions de dollars en cash dans les rues. La foule se précipite pour attraper les billets, on trouve un écho de cette scène dans les deux chiens qui se nourrissent des gouttes venant de la lune. Dans le film, les billets sont ensuite remplacés par un gaz mortel qui fige le visage de ses victimes dans le rictus du Joker, à la mort s'ajoute la panique et la violence d'une émeute. A ce moment précis, le Joker vient de prendre le pouvoir et c'est son imaginaire chaotique et destructeur qui règne sur Gotham City. C'est alors que le batplane sort des nuages pour apposer son sigle sur la lune et reprendre possession de la nuit.




La lune est un archétype maternel (l'écrevisse dans le bassin évoque un foetus dans son liquide amniotique, les chiens semblent téter le liquide venu du ciel comme un bébé téterait au sein de sa mère), et l'irruption de Batman dans la fête du Joker ressemble à celle d'un parent sévère qui viendrait sonner la fin de la récréation. Batman prend la place de ses parents défunts, et remplit le rôle qui leur était échu: punir l'enfant capricieux.

Le Joker, un gosse turbulent.
L'épilogue, après la défaite du Joker, voit Batman prendre définitivement possession de Gotham City, quand les Gothamiens eux-mêmes utilisent le batsignal pour inscrire son logo dans le ciel.


L’état intellectuel de Batman est celui de l'hermite (VIIII). Cette arcane peut représenter un père secret et absent.


Grâce à sa cape, l'hermite protège jalousement son secret représenté par la lanterne. Ce secret est un savoir que l'hermite a acquis par sa longue expérience et qu'il décide ou non de partager avec le monde. Dans le film, le secret primordial de Batman est son identité que tous essaient de découvrir, mais Batman a également un secret à percer: la liste des produits empoisonnés par le Joker.

En effet le Joker a contaminé des produits de beauté courants avec sa toxine mortelle mais personne n'arrive à dire quels produits sont bons, et quels autres sont mortels. Batman, le détective, mène l'enquête dans le secret de sa cave, de manière si invisible que même le spectateur ne le verra pas procéder aux recherches. Si Batman délivre au monde le secret qui sauvera la ville: la liste des produits contaminés, et c'est au commissaire James Gordon qu'il choisit de le confier.

Le commissaire Gordon est le personnage miroir de l'hermite. Lui-même sait qu'il doit agir de manière secrète, comme lors de la réception donnée par Bruce Wayne au début du film, où Gordon se tient à l'écart pour écouter le rapport du policier. C'est encore le commissaire Gordon qui a pour mission de découvrir la véritable identité de Batman. Le secret est au centre de la relation entre Gordon et Batman.

La lanterne de l'hermite est une source lumineuse dans l'obscurité. On retrouve cette figure alors que Vicky Vale essaie de percer le secret de l'identité de Batman en le scrutant dans la batmobile. Il utilise  alors le pouvoir de cette petite lumière pour détourner son regard. Batman modèle la lumière pour se cacher dans l'obscurité.



Nous avons vu que l'arcane sans nom, tourné vers le côté actif, pousse le personnage à privilégier Batman aux dépens de Bruce Wayne. Les deux pôles réceptifs  à gauche (émotionnel et matériel) s'incarnent dans Alfred le majordome, et Vicky Vale, la journaliste interprétée par Kim Basinger et love affair de Bruce Wayne. Alfred et Vicky Vale sont les seuls liens que Bruce Wayne a avec le reste du monde, ils l'empêchent de se dissoudre dans son alter ego.
Disposition des cartes / Le tarot du monde de Batman

L’état émotionnel est représenté par le pendu (XII). Le pendu est impuissant à agir, il observe et attend, comme Bruce Wayne avec Vicky Vale. Le pendu a les yeux ouverts, Bruce Wayne est conscient que Vicky essaie de se rapprocher de lui. Mais il choisit de garder les mains dans le dos, de ne pas agir.
Pendant leur premier rendez-vous galant, Bruce Wayne a le même costume cintré à la taille que le pendu, symbolisant sa retenue.


Dans la scène ci-dessus, Vicky Vale et Bruce Wayne viennent de coucher ensemble. Bruce Wayne n'arrive pas à dormir avec Vicky Vale dans son lit. Elle ouvre les yeux à son tour et le voit pendu la tête en bas. Bruce Wayne traverse une crise, il se tourne vers son animal totem : la chauve souris. Ici, et contrairement à la carte, Bruce Wayne tourne le dos, il est complètement sans défense. C'est Vicky Vale qui ouvre les yeux et observe Bruce Wayne à son insu, renforçant sa fragilité.

Après cette scène, Bruce Wayne repousse Vicky Vale et avec elle ce sentiment amoureux dont il ne sait pas quoi faire. Bruce Wayne tentera de normaliser cette relation sentimentale dans une scène à la fois touchante et drôle où il veut révéler son secret mais il perd ses moyens. Bruce Wayne est interrompu par l'arrivée tonitruante du Joker, qui s'intéresse également à Vicky Vale et qui n'a pas la retenue du pendu. Il faudra finalement l’intervention d'Alfred pour sortir le pendu de son immobilisme. Alfred fait entrer la jeune femme dans la batcave, et l'invite de fait dans l'intimité de Bruce Wayne.


Avant cette scène de révélation, la présence de Vicky Vale dans la batmobile fait revenir la symbolique du pendu : les arbres aux troncs squelettiques qui représente une croissance à l’arrêt, un état d’attente, et renvoie à la froideur de Batman.


L’empereur (IIII) représente l’état matériel de Batman, qui s'incarne dans le film à travers le personnage d'Alfred, le majordome.

Alfred, brandit négligemment un billet en guise de sceptre, incarnant une version ironique de l'empereur.
L’empereur porte fièrement les symboles de son opulence (sceptre, collier, ceinture en or), comme Bruce Wayne étale sa fortune. Mais c'est une couverture, une mise en scène laissée aux bons soins d'Alfred. L'empereur qui étale ses richesses est un masque, une parodie de milliardaire cliché et ennuyeux créée pour protéger le secret de Bruce Wayne. L'aspect parodique est souligné par le jeu tout en flegme britannique de Mickael Gough. L'empereur ne nous regarde pas en face, car sa posture est forcée et qu'il risquerait d'être démasqué.

La fortune de Bruce Wayne permet à Batman de façonner son monde à son image (notamment grâce à tous ses gadgets et véhicules). L'empereur règne sur la planète qu'il brandit au bout d'un sceptre (symbole de pouvoir), tout comme Batman règne sur la nuit gothamienne.
L’empereur est appuyé sur un blason en forme d’aigle. Le W de Wayne peut évoquer ce symbole, mais il rappelle surtout le signe de la chauve souris (animal volant). L’empereur prend appui sur ce blason, c’est ce qui lui donne l’impulsion et le but. Les actions de Bruce Wayne sont entièrement motivés par les enjeux et objectifs de Batman.


Le tarot du monde permet de mieux comprendre le personnage principal, où il place son énergie, comment ses différents pôles sont incarnés, notamment à travers les personnages secondaires. La lune combat le Joker, l'hermite protège (ou partage) ses secrets du commissaire Gordon, l'empereur est mis en scène par Alfred et le pendu reste de marbre face à Vicky Vale.
On explore donc la relation de Bruce Wayne/Batman avec ces personnages, mais ces derniers ont une existence propre, qu'on pourrait représenter par d'autres arcanes. Le Joker affirme lui-même être le diable (XV) ("As-tu jamais dansé au clair de lune avec le diable?" est la phrase qui permet à Batman de comprendre que le Joker n'est autre que l'assassin de ses parents), Vicky Vale pourrait bien être la tempérance (XIIII) qui équilibre les deux identités du protagoniste.



J'espère que ce premier article vous a plu, n'hésitez pas à laisser un commentaire.

Un immense merci à Sophie Muller pour sa relecture attentive et ses conseils avisés.