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La Maison-Dieu selon Jamie Hewlett (jamiehewlett.com) / The Blues Brothers (1998) |
Bienvenue dans ce deuxième article consacré à l'analyse de films à travers des tirages de Tarots de Marseille. Un tirage est une manière de disposer les cartes afin de répondre à une question posée. Pendant un tirage, c'est la personne qui pose la question qui tire les cartes à l'aveugle, le lecteur interprète ensuite les cartes.
Dans le cadre de ces analyses, les cartes ne sont pas tirées à l'aveugle, elles sont choisies après une première analyse rapide. L'analyse plus poussée du tirage ainsi constitué permet d'approfondir l'analyse du film. Les tirages sont adaptés aux spécificités du travail scénaristique.
Le tarot du héros est un tirage décrit dans La Voie du Tarot (livre de Alejandro Jodorowsky et Marianne Costa). Alejandro Jodorowsky s’inspire ici de la quête du héros théorisée par Joseph Campbell dans Le Héros aux Mille et un Visages.
Le tarot du héros se prête particulièrement à l’étude de films, il présente les ingrédients nécessaires à tout bon scénario : un héros, un objectif, des obstacles.
Pour ce tirage, j’ai décidé de m’intéresser à The Blues Brothers (1980, réalisé par John Landis, écrit par Dan Aykroyd et John Landis).
ATTENTION DIVULGACHAGE: L'analyse dévoile certains moments clés du film.
Le héros est le mat, un vagabond sur les routes. Toute sa fortune se réduit à un maigre baluchon, les clochettes sur son costume suggèrent qu’il gagne sa vie en faisant des spectacles, c’est un saltimbanque.
Une des principales caractéristiques du mat est sa liberté. Au début du film, Jake, le personnage principal, est en prison, privé de sa liberté. On remarque des chiens statufiés dans les plans d’exposition de la prison. Derrière les barreaux, les énergies instinctives et animales sont neutralisées, figées dans la pierre, à la différence du chien bleu du mat qui représente son instinct et le pousse à avancer.
La première séquence du film est une libération, celle de Jake. Il rejoint son frère Elwood et le duo prend rapidement la place de personnage principal. C’est une des étapes de la transformation de Jake, qui l’amène au final à devenir le soleil (XVIIII), l'objectif du héros dans le tirage.
Le mat possède une énergie folle, énergie qu’on retrouve dans tout le film. Folle car elle est inépuisable, mais également incontrôlable. Une des problématiques du mat est de canaliser son énergie débordante, il a besoin d’un objectif sinon il pourrait bien faire éternellement des ronds autour de son bâton rouge planté dans le sol.
L’objectif est le soleil (XVIIII).
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Les deux frères ont un message important à diffuser : ‘Everybody needs somebody’ |
Jake acquiert au fur et à mesure du film les attributs du soleil, il partage son objectif de rayonner sur le monde, de transmettre un message divin et positif : la fraternité.
Jake retrouve son frère Elwood et l’entraîne dans sa mission divine, comme le personnage à gauche de la carte guide son frère aveugle sur l’île blanche. Dans la scène de l’église, Jake est frappé par un rayon de soleil divin, il a une révélation : lui et Elwood doivent reformer le groupe. Comme le frère aveugle à la droite sur la carte, Elwood n’a pas vu Dieu mais se laisse guider par son frère.
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Le soleil inspire Jake et lui donne sa mission : ‘We are on a mission from God’. |
La fraternité est primordiale pour Jake, et se retrouve dans son obsession de reformer le groupe de musique. La première chose qu’il dit après avoir été frappé par Dieu est : ‘The band !’. Jake veut retrouver ses frères d’armes.
On retrouve encore la fraternité dans l’objectif final des frères Blues : sauver l’orphelinat qui les a vus grandir, et tous les enfants qui y vivent. C’est une mission désintéressée, qui fait des frères Blues de vrais héros au sens le plus chevaleresque du terme. Enfin la fraternité est clairement exprimé dans le titre phare du film : ‘Everybody Needs Somebody to Love’, et le refrain qui implique tout le monde : ‘I need you, you, you !’
On retrouve plusieurs fois dans le film la construction en triangle de la carte du soleil, notamment dans cette scène où Martin Luther King (apôtre de la fraternité s’il en est) occupe la place du soleil.
Un bon héros se doit d’avoir des obstacles à franchir et des ennemis. Ils sont nombreux dans The Blues Brothers, mais sont tous des variations sur le même thème : celui de l’ordre, représenté par la justice (VIII).
Les frères Blues ne cessent de transgresser la loi et sont régulièrement pourchassés par la police. Le chiffre 4 évoque la stabilité (à l’image d’une table, d’une chaise, ou encore d’une voiture sur 4 roues), le chiffre 8 de la justice redouble cette stabilité, et en devient rigide. La carte de la justice évoque les institutions, le gouvernement, le système.
La justice se retrouve également dans le personnage d’Aretha Franklin, alors qu’elle essaie d’empêcher Matt ‘Guitar’ Murphy de la quitter quand les Blues Brothers viennent le chercher pour qu’il rejoigne le groupe. Pour elle, un mari ne devrait pas quitter la stabilité du foyer. La chanson ‘Think’ et son refrain ‘Freedom !’ est cependant à double sens, elle l’invite à se libérer. Mais se libérer de quoi ? De sa vie rangée et monotone, ou de ses envies pulsionnelles d’aventure ? En tout cas Matt doit ‘réfléchir’, peser le pour et le contre, comme le fait la justice avec sa balance. Elle-même finit par trancher avec son cœur - la justice porte la balance avec la main gauche - et à le laisser partir.
La justice tient dans sa main droite une épée, une arme pour appliquer sa sentence. Dans le film, cette main armée est celle de la femme mystérieuse qui tente à plusieurs reprises de tuer Jake à coup de bazooka ou de fusil mitrailleur. On apprend lors d’une ultime confrontation que la faute de Jake est de l’avoir abandonnée sur l’autel. Jake a bafoué l’institution du mariage et son engagement. Un comportement attendu de la part du mat qui ne reconnaît aucune attache, mais un crime et une trahison aux yeux de la justice.
La justice est encore le système fiscal qui menace l’orphelinat. Comme souvent, le fisc est présenté comme une institution à la fois solide et absurde. À la fin du film, le percepteur accepte le chèque des frères Blues sans rechigner, alors qu’ils sont poursuivis par des centaines de policier et de militaires.
On remarque d’ailleurs que la justice est symboliquement défaite quand ceux qui ont pour mission de la protéger deviennent à leur tour des agents du chaos dans la course-poursuite finale.
Mais la toute première rencontre des frères Blues avec la justice a lieu juste après la sortie de prison de Jake, dans l’orphelinat. Elle s’incarne dans le ‘Pingouin’, une nonne sévère et austère. Le Pingouin est juste, elle refuse de payer ses dettes avec l’argent du vol (comme on l’a vu, les impôts ne posent pas autant de questions) et pousse Jake et Elwood dans le bon chemin. Le Pingouin est une vision positive de la justice, qui apparaît au début de la scène comme un antagoniste mais se révèle au final un bon aiguillon et qui donne au mat ce qui lui manque : un but, un objectif.
Le second obstacle qui se dresse sur la route des Blues Brothers est le diable (XV).
Dans le tarot, le diable est notamment lié à toutes les problématiques d’argent.
Les Blues Brothers doivent de l’argent à tout le monde, ce qui crée immanquablement des situations de conflit quand ils demandent de l’aide. Pour eux l’argent n’est qu’un moyen, un outil. Cet absence de révérence pour le Dieu dollar détonne et fait d’eux des parias, par exemple quand ils ne peuvent pas payer les consommations dans le bar de country où ils viennent de jouer, ou quand ils se goinfrent sans aucun respect des convenances dans un restaurant hors de prix pour forcer M. Fabulous à quitter son emploi et à reprendre sa place dans le groupe.
Malgré leur mépris pour l’argent, les Blues Brothers doivent faire appel à un promoteur de leur spectacle, et se plier à ses exigences pour organiser le concert. S’ils ne se laissent pas gouverner par l’argent, les Blues Brothers savent que l’argent fait tourner le monde. Ils n’essaient pas de le détruire, mais ils l’utilisent pour arriver à leurs fins : sauver l’orphelinat, donner de l’amour au monde.
Le sens premier du diable est de mettre à jour nos pulsions profondes, celles qui devraient rester dans l’ombre. C’est même le sens littéral de Lucifer : ‘qui porte la lumière’. L’arcane est associé à nos désirs inavoués, aux addictions, aux sentiments négatifs.
Le diable s’incarne chez les néonazis que les Blues Brothers défient au milieu du film. Dans le cinéma américain, les nazis sont souvent utilisés comme représentation sans équivoque du mal à l’état pur. Les néonazis sont en vénération aveugle devant leur idole Adolf Hitler, ils sont enchaînés à leur haine. Ils représentent aussi une certaine idée de l’ordre, on retrouve ici le versant négatif de la justice.
On peut remarquer que les cartes du soleil (l’objectif) et du diable se ressemblent. Chez le diable, les deux personnages regardent le diable, tandis que dans le soleil ils se regardent entre eux. Le diable exige l’admiration et la vénération, le soleil baigne le monde de sa lumière sans rien demander en retour. Chez le diable les personnages ont les mains liées dans le dos, chacun de son côté ; chez le soleil les personnages se touchent, ils sont en lien les uns avec les autres.
Pour des personnages d’artistes qui montent sur scène dans des concerts grandioses, on pourrait s’attendre à ce qu’ils aient un faible pour l’amour des foules. Mais il n’en est rien, certainement parce que le groupe des Blues Brothers a déjà existé dans le passé, et que ses membres ont déjà vécu et dépassé ce rapport addictif à la foule.
On sent tout de même poindre le diable lors de la scène du bar country, quand Jake a une réaction d’orgueil et refuse de jouer de la musique country, de se plier au style de la salle. Mais alors on leur coupe le son (et la lumière). Ils changent rapidement leur fusil d’épaule et s’adaptent pour remplir la mission du soleil : donner du bonheur autour d’eux et répandre l’amour sur le monde.
La justice est un obstacle externe qui s’incarne chez plusieurs antagonistes différents (policiers, militaires, promoteurs, d’une certaine manière les nazis, etc.), tandis que le diable est un obstacle plutôt interne, qui renvoie à l’orgueil d’artiste de Jake (même s’il s’incarne chez les nazis). C’est pour cela que la carte du diable est plus proche du héros (obstacle 1 : obstacle interne) et la carte de la justice plus proche de l’objectif (obstacle 2 : obstacle externe).
La clé, ou le moyen par lequel le personnage va se débarrasser des obstacles pour atteindre son objectif, est la maison-dieu (XVI).
La maison-dieu représente la fête avec ses cotillons, le panache de couleur qui émerge de la tour, et ses personnages qui marchent sur les mains. Elle représente également une violente explosion qui détruit la tour, et le personnage de gauche sur la carte pourrait bien être en train de chuter.
Dans The Blues Brothers, les conflits se terminent soit en chants et en danses, soit en explosions et destructions. La maison-dieu représente une énergie qu’on ne peut plus contenir et qui émerge. La tour couleur chair représente notre enveloppe corporelle, mais peut également être un système de valeurs qui nous a permis de nous construire, mais qui s’avère contraignant (la famille ou la société). Dans The Blues Brothers, le panache coloré représente l’énergie débordante du mat que la justice (la tour) ne parvient pas à contenir.
Lors de la course-poursuite finale entre les néonazis et les Blues Brothers, la voiture des nazis saute un tremplin, se met à voler au-dessus des tours et chute inexorablement. Juste avant de percuter le sol, le Gruppenführer avoue ‘I’ve always loved you’ à son chef. C’est une bonne illustration du pouvoir libérateur de la maison-dieu : la chute amène la vérité. Et dans ce cas-là le soleil est l’objectif, c’est donc l’amour qui est libéré.
Le tarot du héros permet de révéler les forces en présence dans un film, et d'identifier ce qui se dresse entre le héros et son objectif. Dans le cas présent l'objectif (le soleil) représente ce que doit devenir le héros, plus que ce qu'il doit obtenir. Cela tient peut-être à la nature spécifique du soleil, qui incarne le don et la partage.
Le tarot du héros peut être affiné, par exemple en tirant plus d’une carte pour les clés. On trouverait le chariot (VII), la puissante ‘Bluesmobile’ qui met au service de la mission sa capacité à parcourir le monde et à se jouer de tous les obstacles. La Bluesmobile est une voiture de police reconditionnée, une manière pour les Blues Brothers de narguer la justice en s’emparant de ses armoiries.
Le tarot du héros peut être affiné, par exemple en tirant plus d’une carte pour les clés. On trouverait le chariot (VII), la puissante ‘Bluesmobile’ qui met au service de la mission sa capacité à parcourir le monde et à se jouer de tous les obstacles. La Bluesmobile est une voiture de police reconditionnée, une manière pour les Blues Brothers de narguer la justice en s’emparant de ses armoiries.
Merci à Idir Zebboudj pour la relecture.